Les Émotifs anonymes: Poelvoorde illumine la comédie rétro de Jean-Pierre Améris
- par Gabin Leroux
- sept., 11 2025

Un pari rétro pour une histoire de timides
Un film court, une idée claire, un duo qui crève l’écran: voilà la promesse de Les Émotifs anonymes, comédie romantique de Jean-Pierre Améris sortie le 22 décembre (1h20). Le récit tient sur un fil simple: deux personnes terriblement timides se rencontrent, se plaisent, et se heurtent à leurs peurs. Rien de révolutionnaire, mais une ligne tenue sans trembler.
Le cadre surprend d’emblée. Décors au charme suranné, costumes sages, tons pastels, objets d’un autre temps: Améris installe un monde presque hors du présent. Le choix n’est pas qu’esthétique. En gommant les signes du quotidien connecté, le film isole ses personnages et les place face à leurs vertiges. Quand une webcam s’invite dans le champ, l’effet de contraste est voulu: la modernité fait irruption comme un coup de projecteur, presque trop violent pour ces cœurs en alerte.
L’action se déroule dans une chocolaterie, espace intimiste où tout peut déraper à voix basse. Le chocolat devient un refuge et un révélateur: on y travaille au millimètre, on y dose l’amertume et le sucre, on y masque et dévoile des saveurs. Exactement ce que tentent de faire ces deux écorchés vifs avec leurs sentiments. Améris filme les gestes, les hésitations, les regards fuyants, avec une précision qui rappelle la comédie à l’ancienne.
La mise en scène est carrée, presque scolaire par moments, mais efficace. Cadrages nets, décors lisibles, transitions propres: le film avance sans gras, porté par un sens du rythme rare dans la romcom française. Quand l’écriture trébuche — quelques répliques à plat, situations appuyées — la direction d’acteurs et l’ordonnancement des scènes rattrapent l’ensemble. Seul bémol qui agace: une musique envahissante, qui souligne trop souvent ce que l’on voit déjà.
Difficile de ne pas penser à Lubitsch. Améris joue avec la mécanique des malentendus, le tempo des portes qui s’ouvrent et se referment, le quiproquo qui dérive en émotion. Sur ce terrain, il s’en sort mieux que d’autres tentatives récentes du versant «chic» de la comédie française. Là où certaines productions étouffent sous la joliesse, ici la légèreté tient parce que la scène prime sur la punchline.
Poelvoorde, l’éclat fragile; Carré, la retenue
Benoît Poelvoorde emporte le film. D’habitude volcanique, il joue ici au bord de la crise de panique. Sa comédie naît de la peur: mains crispées, souffle court, regard en biais, micro-silences qui se transforment en rires nerveux. Il ose se moquer de ses propres angoisses, et c’est là que le film est le plus moderne. On rit de sa fragilité parce qu’il en fait une matière précise, presque musicale, avec un timing réglé au quart de tour.
Face à lui, Isabelle Carré avance sur une autre fréquence: douceur, finesse, brisures à peine visibles. Elle laisse Poelvoorde occuper l’espace comique et choisit le contrepoint. Parfois, elle disparaît derrière ce tourbillon maîtrisé; parfois, elle le recentre d’un regard ou d’un silence. Leur dynamique fonctionne mieux dans les scènes de débordement: un dîner où la panique cogne à la porte, une confession retenue dans un couloir, un geste manqué qui devient la scène. Quand le film les laisse respirer, l’alchimie prend.
Le cœur du récit tient dans la gestion de l’anxiété. Améris filme les peurs sans pathos: réunions de groupe, petits rituels pour traverser la journée, stratégies d’évitement. Il montre comment l’amour, chez ces deux-là, passe par la logistique: oser envoyer un message, franchir une porte, accepter un rendez-vous. Ce minimalisme, s’il frustre parfois, rend leur victoire finale tangible: on ne parle pas de grandes déclarations, mais de petits pas, très concrets.
La direction artistique habille ce parcours. Les décors légèrement datés ne sont pas de simples bibelots: ils installent une distance qui protège. La lumière douce évite le clinquant, les couleurs restent chuchotées. Cette cohérence visuelle donne de la tenue au film et lui évite le piège de la carte postale. À l’inverse, la bande-son insiste trop, comme pour rassurer le spectateur. Elle affaiblit des scènes qui auraient gagné à se taire.
Sur le plan du rythme, le film assume son format court. 80 minutes, pas plus. Les scènes s’enchaînent avec une économie précieuse: une situation, une idée, un effet. C’est cette sobriété qui permet à la comédie de tenir, même quand le scénario cède à la facilité. On sent la volonté d’Améris de privilégier la dramaturgie à la vanne, l’émotion à la formule.
Reste la fameuse question du «rétro». Est-ce un refus du présent ou une manière de signer une comédie intemporelle? Les deux, sans doute. La bulle d’époque crée une poésie discrète et évite les pièges du comique de l’actualité. En contrepartie, elle peut donner l’impression d’une frilosité, d’un monde sous cloche. Lorsqu’un détail contemporain surgit, il choque presque trop — ce qui, au fond, dit bien l’angle du film: pour ces personnages, chaque pas vers l’autre ressemble à une intrusion du réel.
Comparée à d’autres tentatives «à l’américaine» de la comédie française, cette proposition tient mieux sa note. Moins de clinquant, plus de tenue. La référence à la tradition — Lubitsch en ligne d’horizon, un zeste de fantaisie à la Jeunet mais sans saturation d’effets — sert de garde-fou. Ici, on mise sur l’architecture des scènes et sur les acteurs. Quand un film fait ce pari, il accepte d’être jugé sur sa coupe. Elle est précise, parfois rigide, mais propre.
Au final, on a un objet modeste et cohérent: une romcom courte, cadrée, qui laisse Poelvoorde briller sans transformer le tout en show personnel. Ce n’est pas un uppercut, c’est un film tenu. Ceux qui aiment les comédies romantiques sans cynisme, qui cherchent des personnages cabossés mais pas larmoyants, y trouveront un vrai charme. Et même si l’écriture boite par endroits, l’ensemble se rattrape par la mise en scène et un sens du tempo qui font la différence.